Abstract
Repenser les Humanités à l’époque des technologies numériques : perspectives écologiques et organologiques
Séance du 9 décembre 2014, enregistrée au Centre Pompidou (Salle Triangle)
Le processus de cybernétisation qui émerge au milieu du XXème siècle et l’évolution numérique des technologies de l’information et de la communication caractéristique du début du XXIème siècle aboutissent aujourd’hui à une technicisation et une réticulation croissantes des environnements sociaux et cognitifs humains, et à leur invasion par les technologies médiatiques à toutes les échelles (environnements algorithmiques « intelligents » et évolutifs en temps réel, analyses de données micro-sensibles, colonisation de la vie quotidienne par les « médias sociaux »). Révélant ainsi la condition technique originaire de l’homme, ce devenir cybernétique des environnements contemporains implique de poser à nouveau frais la question écologique et de repenser les Humanités, dans le contexte du capitalisme numérique et de la société hyper-industrielle.
Le concept de participation a joué un rôle fondamental dans les tentatives théoriques pour décrire les nouvelles formes de subjectivités, d’objectivités et d’agentivités distribuées dans ces environnements technologiques et réticulaires complexes. En insistant sur le rôle premier et constitutif de la relation et de la médiation, cette notion constitue un pivot pour une « écologie générale » à venir, qui permette de reconsidérer le rapport entre nature et technique et les couplages entre agents humains et non-humains. La réévaluation actuelle du concept de participation témoigne d’une nouvelle conception du sens, pensé non plus à partir de son caractère mental, intérieur ou représentatif, mais à partir de son extériorité constitutive, au moyen des concepts d’ouverture, de communication et d’indétermination. Il s’agira pour E. Hörl de revenir sur deux origines cruciales de cette conception « participative » du sens : les travaux de L. Lévy-Bruhl sur le rôle de la participation dans la mentalité primitive, et ceux de G. Simondon concernant l’écologie spéculative de la participation.
Ces transformations fondamentales dans l’histoire des machines et de la pensée témoignent du lien entre les technologies d’une époque et les conceptions que celle-ci se fait de l’homme et du monde. L’« humain » ne serait plus le nom d’un référent stable, mais celui d’une série de projections culturelles, engendrées par les techniques propres à chaque société et les rêves auxquels celles-ci donnent naissance. L’« humanité » désignerait moins une espèce exhaustivement définissable qu’un horizon de possibilités vers lesquelles nous inclinons de façon intermittente. Cette idée d’une « promesse de l’humain », toujours réinventé à travers ses prothèses artificielles, conduira G. Moore au cœur de l’organologie générale, qui constitue un paradigme pour penser la réinvention des Humanités à l’époque numérique, et permet de comprendre leur nécessaire transformation en « études digitales ».
Erich Hörl est philosophe, professeur d’Etude des médias au sein de l’Institute for Culture and Aesthetics of Digital Media à l’Université de Leuphana (Allemagne). Elève de Friedrich Kittler (théoricien des médias et fondateur des « media studies » allemandes), spécialiste de Simondon et de l’histoire de la cybernétique, il s’intéresse à la question de la « condition technologique » de l’homme, qui implique la défense d’un nouveau paradigme écologique. Il interroge le rôle des théories des médias dans cette « écologie générale », ainsi que ses conséquences conceptuelles, politiques et institutionnelles.
Gerald Moore est philosophe, maître de conférence dans le département de langues et cultures modernes (School of Modern Languages and Cultures) à l’Université de Durham (Royaume-Uni), où il reprend le programme des Digital Studies, visant à redéfinir le rôle politique des humanités et de l’université à l’époque du numérique. Il travaille actuellement à la rédaction d’un manifeste pour les Digital Studies, The Digital Studies Manifesto. Il s’intéresse notamment aux questions de pharmacologie et d’organologie générale. Il est l’auteur de Politics of the Gift : Exchanges in Poststructuralism, Edinburgh University Press, 2011, et Bernard Stiegler : Philosophy in the Age of Technology (à paraître) et codirecteur de l’ouvrage collectif Stiegler and Technics, Edinburgh University Press, 2013. Il est membre de l’association Ars Industrialis et du réseau Digital Studies, et interviendra lors des Entretiens du nouveau monde industriel 2014 sur le thème « Humanités et tournant computationnel de la société hyperindustrielle ».
Vidéo de la session