Abstract
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET INTERPRETATION
Séance du 20 mai 2016, enregistrée au Centre Pompidou (Salle Triangle)
Le 14 novembre 1716, il y a bientôt trois cent ans, mourrait le précurseur de l’intelligence artificielle, qui écrivait : « Les plus importantes pratiques, les plus importants tours de main, dans toutes sortes de métiers et d’artisanats, demeurent encore non écrits. C’est là un fait d’expérience, qui est prouvé chaque fois que nous passons de la théorie à la pratique, quand nous désirons réaliser quelque chose. Naturellement, nous pourrons aussi formuler par écrit cette pratique, puisqu’elle n’est au fond qu’encore une théorie, plus particulière et plus complexe… » (Leibniz, « Zur allgemeinen Charakteristik », in Hauptschriften zur Grundlegung der Philosophie, Philosophische Werke, Band 1, Verlag von Felix Meiner, Hamburg, 1966, p. 30-38. Cité par Hubert L. Dreyfus dans Intelligence artificielle. Mythes et limites, Paris, Flammarion, 1984, p. 6-7.). Il y a bientôt soixante ans, à l’été 1956, naissait sur le campus de Dartmouth College l’intelligence artificielle. Le 24 janvier 2016, mourrait Marvin Minsky, son père fondateur. Le 4 février 2016, le Collège de France inaugurait sa première chaire en intelligence artificielle, lors de la leçon inaugurale de Yann LeCun sur l’apprentissage profond (deep learning). Le 13 mars 2016, AlphaGo, le programme de Google DeepMind, remportait la victoire sur Lee Sedol, alors positionné au troisième rang du classement mondial des joueurs de go.
Inutile de poursuivre l’énumération des symptômes d’une mutation en marche : « Il n’est pas difficile de voir, au demeurant, que notre époque est une époque de naissance et de passage à une nouvelle période. L’esprit a rompu avec le monde où son existence et sa représentation se tenaient jusqu’alors ; il est sur le point de les faire sombrer dans les profondeurs du passé, et dans le travail de sa reconfiguration. (…) L’esprit en formation mûrit lentement et silencieusement en direction de sa nouvelle figure, détache morceau après morceau de l’édifice de son monde antérieur, et seuls quelques symptômes isolés signalent que ce monde est en train de vaciller ; la frivolité, ainsi que l’ennui, qui s’installent dans ce qui existe, le pressentiment vague et indéterminé de quelque chose d’inconnu, sont les prodromes de ce que quelque chose d’autre est en marche. Cet écaillement progressif, qui ne modifiait pas la physionomie du tout, est interrompu par la montée, l’éclair qui d’un seul coup met en place la conformation du nouveau monde. » (Hegel, Phénoménologie de l’esprit, traduction J.-P. Lefebvre, Préface, Paris, Aubier, 1991, p. 34).
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? Une science de la nature ? Une science appliquée ? Une ingénierie ? Après avoir : 1° présenté les trois grandes interprétations de ce que peut être l’intelligence artificielle comme discipline et de ce qu’elle peut faire ; 2° examiné les thèses explicites, les présupposés implicites et les fins qui déterminent les programmes de travail de ces trois approches ; nous montrerons 3 ° en quoi la méthodologie du programme de recherche mis en œuvre par Bruno Bachimont dans le cadre d’une pratique de l’ingénierie informatique, l’ingénierie des connaissances (ingénierie qui articule une phénoménologie de la connaissance à une épistémologie de son support) est le programme de recherche le plus pertinent pour penser de manière productive le rapport de l’intelligence artificielle à la question de l’interprétation
Fabien Ferri est ingénieur d’études en analyse de sources au sein du laboratoire de recherches philosophiques Logiques de l’agir (EA 2274) de l’Université de Franche-Comté, et actuellement doctorant à l’Université de Technologie de Compiègne sous la direction de Bruno Bachimont au sein de l’équipe CRED (Cognitive Research and Enaction Design) du laboratoire Costech (EA 2223). Son travail de recherche relève de l’épistémologie du support et de la philosophie des pratiques savantes. Il vise : 1° à poser à nouveaux frais la question herméneutique ainsi que celle de la non-neutralité du support de conservation du savoir en pensant la genèse technique des technologies intellectuelles et les conséquences induites par la mutation des structures matérielles du savoir sur l’émergence de nouvelles catégories de pensée ; 2° à articuler cette philosophie de la culture à une philosophie de la nature à la fois évolutive, sémiotique et dynamique ; 3° à élaborer sur cette base une ontologie pratique et critique et une épistémologie historique des opérations génétiques nommée diagrammatologie.
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