Abstract
ETUDES DIGITALES ET HUMANITES NUMERIQUES
Séance du 6 janvier 2016, enregistrée au Centre Pompidou (Salle Triangle)
Depuis 10 ans, les « Digital Humanities » ont été énoncées, pensées, défendues et institutionnalisées comme une transformation numérique des disciplines des sciences humaines, des sciences sociales, des Arts et des Lettres. Ce que l’on a traduit en français par « Humanités numériques » ne devait néanmoins pas consister en une simple numérisation des œuvres et des documents mais en une intégration de la technologie numérique dans la culture. En 2010, le Manifeste des Humanités numériques (http://tcp.hypotheses.org/318) posait ainsi comme objectif la définition de méthodes visant à étudier les sciences humaines et sociales au moyen des technologies numériques. Il s’agissait par-là de mettre à jour les « sciences de l’esprit » via notamment l’analyse automatique de vastes corpus de textes, mais aussi, en retour, d’apporter à l’étude des nouvelles technologies des modes d’investigation issus des « humanités ».
Les « Digital Studies » constituent, elles, depuis 2012, la proposition de définition d’un champ académique transdisciplinaire ne se confinant pas aux sciences de l’esprit et touchant aussi aux sciences dites « de la nature ». L’objectif de ce champ est d’étudier les transformations que la technologie numérique opère au niveau de la constitution et de la transmission des savoirs. Ce sont des études dans la mesure où ce champ doit se structurer en diverses branches (catastrophe studies, software studies, media studies…) issues d’un réagencement de toutes les disciplines académiques. Et ces études sont dites digitales dans la mesure où elles visent non seulement à mieux appréhender la technologie numérique elle-même et à en produire une épistémologie, mais aussi à comprendre comment la connaissance et le savoir, tels qu’ils commencent à travers les doigts de la main, comme la montré Leroi-Gourhan, sont impactés par les technologies intellectuelles.
Etudes Digitales et Humanités Numériques ne sont pas des propositions contradictoires mais elles ne partagent pas les mêmes priorités, les mêmes méthodes ni les mêmes objectifs. Dans les deux cas, il s’agit pourtant de repenser l’enseignement supérieur à l’époque de la technologie numérique. Dans cette séance, nous essaierons de comprendre dans quelle mesure les études digitales peuvent se présenter comme complément ou comme critique vis-à-vis des humanités numériques. Une discussion autour des enjeux des études digitales devra aussi passer par une tentative de définition de ses « branches » et nous devrons comprendre comment pourraient s’articuler de nouveaux champs transdisciplinaires tels que ceux des catastrophe studies, media studies, critical code studies, game studies, etc. Nous verrons enfin quels organes et quelles méthodes rendront possible la mise en fonction des études digitales, à travers la méthode de l’organologie générale, la revue Etudes Digitales ou le réseau international Digital Studies.
Gerald Moore est philosophe, maître de conférence dans le département de langues et cultures modernes (School of Modern Languages and Cultures) à l’Université de Durham (Royaume-Uni). Il travaille actuellement à la rédaction d’un manifeste pour les études digitales, The Digital Studies Manifesto. Il est l’auteur de Politics of the Gift : Exchanges in Poststructuralism (Edinburgh University Press, 2011), et codirecteur de l’ouvrage collectif Stiegler and Technics (Edinburgh University Press, 2013).
Franck Cormerais est professeur à l’Université de Bordeaux Montaigne et membre du laboratoire MICA (Médiation, Communication, Information, Art). Docteur en Philosophie et en sciences de l’Information et de la Communication, ses recherches portent sur l’anthropologie des techniques et sur les pratiques des technologies de l’information et de la communication. Avec Jacques Gilbert, il travaille actuellement à l’élaboration d’une nouvelle revue, intitulée Etudes Digitales, et dont le premier numéro paraitra dans les prochains mois avec pour thème « Le texte à venir ». Il est notamment co-auteur de La société éclatée, Le retour de l’objet local (L’aube, 2014) et il a dirigé les deux volumes de l’ouvrage collectif Poétique(s) du numérique (L’entretemps, 2008, 2013).
Bernard Stiegler est philosophe, directeur de l’Institut de Recherche et d’Innovation et président de l’association Ars Industrialis. Il est l’auteur de nombreux livres dont les plus récents sont La société automatique 1. L’avenir du travail (Fayard, 2015) et L’emploi est mort, vive le travail (Fayard, 2015).