Séminaire Digital Studies : Antoinette Rouvroy et Bernard Stiegler (Paris, 07/10/2014)Digital Studies Seminar: Antoinette Rouvroy and Bernard Stiegler (October 7th, 2014)


Compte-rendu de la séance : Compte-rendu séance 2

La deuxième séance du séminaire Digital Studies de cet automne portait sur le thème : « De la gouvernementalité algorithmique de fait au nouvel état de droit qu’il nous faut ». Bernard Stiegler (philosophe, directeur de l’Institut de Recherche et d’Innovation) a débattu avec Antoinette Rouvroy (docteur en sciences juridiques et chercheur à l’Université de Namur).   Le propos d’Antoinette Rouvroy, s’appuyant sur la notion de « régimes de vérité » chez Foucault, a exploré la question de savoir en quoi la « gouvernementalité algorithmique », apparue avec le numérique, constitue un nouveau mode de gouvernement des conduites, et a souligné ses répercussions cruciales en termes épistémologiques, sémiotiques et juridiques. Elle a mis en évidence une crise de la notion de représentation, portée par l’idéologie des big data selon laquelle le traitement automatique des « données brutes » permettrait de découvrir la vérité à même le réel, en se passant de toute vérification, de toute interprétation, de toute critique. A travers le travail opéré sur ces données, qui en efface la signification, ce sont aussi trois sources d’incertitude qui tendent à être suspendues : celles de la subjectivité, de la sélectivité et de la virtualité. Tout en montrant les conséquences de cette idéologie des big data sur l’identité personnelle, qui témoigne du paradoxe d’une hyper-personnalisation mêlée à une fragmentation et un isolement de l’individu, Antoinette Rouvroy a également pointé trois types de « récalcitrances » à ce mouvement, que sont l’ineffectué de l’histoire, l’ineffectué de l’avenir et la mansuétude humaine.   L’intervention de Bernard Stiegler a ajouté à ces réflexions l’idée d’un droit algorithmique qui resterait à construire. Le caractère indispensable d’une différenciation entre le fait et le droit trouve une illustration particulière à travers la réfutation du texte de Chris Andersen, The End of theory, qui postule l’inutilité de la formulation d’hypothèses et l’élaboration de théories scientifiques à l’heure des big data. Bernard Stiegler a montré la nécessité d’un effort d’interprétation des données brutes, en s’appuyant sur la distinction kantienne entre l’entendement, dont les processus analytiques sont computationnels et automatisables, et la raison dont les processus synthétiques, échappent au règne de l’automaticité et rendent l’individu capable de trancher et de décider. Il a également souligné le lien entre l’automaticité algorithmique et les problématiques du capitalisme contemporain, en particulier ses conséquences sur l’emploi. Il est dès lors capital de mobiliser notre raison, orientée vers l’instauration de circuits de transindividuation, pour élaborer dès à présent un nouveau modèle.

The second session of the Digital Studies seminar of this autumn focused on the theme: “From the actual algorithmic govermentality to the new rule of law it needs”. Antoinette Rouvroy (doctor in legal sciences and researcher at Namur University), and Bernard Stiegler (philosopher, director of the Institute for Research and Innovation) took part in this debate.   Antoinette Rouvroy’s conference, leaning on Foucault’s notion of “regimes of truth”, explored the question to know how the “algorithmic governmentality”, that appeared with the digital, constitutes a new mode of ruling behaviors, with crucial repercussions in terms of epistemology, semiotics and law. She highlighted a crisis of the notion of representation, conveyed by the ideology of big data according to which the “raw data” would allow to discover truth directly from the reality. Through the work made on these data, which erases their meaning, three sources of uncertainty tend to be suspended: subjectivity, selectivity and potentiality. While showing the consequences of this ideology of big data on personal identity, which leads to the paradox of a hyper-personalization combined to a fragmentation and an isolation of the individuals, Antoinette Rouvroy also indicated three kinds of “recalcitrances” to this movement, that are the uneffectuated of history, the uneffectuated of future and the human clemency.   Bernard Stiegler’s lecture added to these reflections the idea of a right of algorithmic govermentality, which still needs to be constructed. The indispensable nature of a differentiation between fact and right is especially illustrated by the refutation of Chris Andersen’s text The End of Theory, which postulates the inutility of the formulation of scientific  hypothesis and theories at the time of big data. Bernard Stiegler showed the necessity of an effort of interpretation of the raw data, leaning on the Kantian distinction between the “understanding”, whose analytical processes are computational and automatable, and the “reason”, whose synthetic processes escape the rule of automaticity and make people able to decide. He also underlined the link between algorithmic automaticity and the problems raised by contemporary capitalism, in particular its consequences on employment. It is then essential to call up our reason, oriented toward the establishment of transindividuation circuits, to develop a new model as of now.